Entretien avec l’artiste Kaouther Ben Amor, Danseuse Orientale et Chorégraphe
Biographie :
Artiste de renom sur la scène internationale, Kaouther Ben Amor se fait connaître par la dimension théâtrale qu’elle donne à son interprétation et ses créations chorégraphiques de danse orientale.
Détentrice d’un style innovant, elle débute à Paris puis très vite parcourt le monde sur des scènes prestigieuses et tourne aussi pour le cinema.
1- Kaouther Ben Amor, quels sont les apports d’appartenir aux deux rives de la Méditerranée ?
C’est une grande richesse! La culture arabo – maghrébine et la culture française diffèrent et en même temps sont complémentaires pour moi. Comme tous les enfants d’immigrés nés en France, il y’a eu des moments enfant ou cela n’a pas été simple. C’était comme si vous n’apparteniez pas complètement ni à l’une ni à l’autre et ce sont ces deux rives qui vous le faisaient remarquer alors que pour vous tout allait très bien. Mon prénom, souvent sujet de railleries des camarades de classe car imprononçable pour eux, a pourtant été le déclic.
Que voulait il dire dans mon autre langue? Une fois que j’ai appris sa signification, sa poésie, son symbole , j’ai compris combien l’ignorance pouvait être dangereuse pour soi-même comme pour les autres. Une porte s’ouvrait devant moi, je réalisais que l’école ne m’apprendrait pas tout. J’ai décidé de m’instruire dans ces deux cultures que j’aimais profondément. De profiter de chaque moment dans ces deux rives pour apprendre et partager. Cette double culture était devenue une grande richesse. Je choisissais ce que je trouvais de plus beau dans chacune jusqu’à créer ma propre balance, ma propre identité et ce jusqu’à encore aujourd’hui ! Donc oui, appartenir à deux rives m’ont appris dès petite : la curiosité intellectuelle, l’ouverture à l’autre, l’estime de soi, la détermination , la tolérance, la passion des arts et des lettres. J’étais une rivière selon ce prénom qu’on m’avait donné ! je n’avais qu’à avancer dans ce merveilleux voyage d’abondance !
2- Comment avez-vous vécu la déviation dans votre parcours et à quel moment avez-vous pris la décision de faire de la danse une « mission de vie » ?
J’ai décidé de faire de la danse mon métier quand ma passion pour elle, était devenue dévorante. Elle envahissait mes jours comme mes nuits. Je ne pouvais plus tenir le rythme de danser tous les soirs et wk (aussi bien en performant qu’en suivant des formations de haut niveaux et qu’en enseignant moi-même) et assumer mes responsabilités dans mon autre travail. Je sentais que j’avais besoin d’encore plus de temps matériel pour m’entraîner, pour créer, pour évoluer encore, no pain no gain. J’ai donc quitté mes fonctions dans l’industrie du cinéma (autre passion que j’aimais tout autant) et je décidais de me donner 3 ans. Tout d’abord pour voir si en faire mon métier à temps complet était possible. C’est-à-dire, si j’arriverai à subvenir à mes besoins financiers mais surtout savoir si j’étais réellement capable d’évoluer vers une vie artistique, devenir danseuse professionnelle de haut niveau pour la scène avec tout l’investissement et les sacrifices que cela demandait et si tout cela n’affecterait pas mon amour pour elle, la danse.
Les trois années sont passées très vite sans m’en rendre compte mon nom était déjà devenu un nom, ma passion quant à elle, était intacte sinon encore plus grande.
3- Dans l’art, tout se joue sur la capacité de transmettre généreusement. Selon vous, quelle est la différence du partage d’un(e) artiste sur scène et lors des cours ?
Aucune différence pour moi. J’adore enseigner, c’est un échange aussi fort que la scène. Cela prend du temps pour apprivoiser un corps. Enseigner, c’est ouvrir des oreilles, c’est transpercer des carapaces parfois pour pousser un corps en dehors, offrir à un coeur et une tête à exprimer leur interiorité avec un vocabulaire puis les laisser s’abandonner dans le langage de la danse, dans un univers où tout leur être vibre et s’exprime. Voir naître le lâcher prise chez un élève est un moment de grande émotion …
4- Ayant assisté à l’un de vos workshops, j’ai été marquée par votre méthode centrée sur l’introspection et la transmission lyrique : puiser dans le vécu pour avoir une expression plus authentique. Quels sont le fil d’Ariane et le message commun qui relient vos différentes performances ?
Mon approche de la danse est théâtrale, c’est donc naturel pour moi de mêler la danse et l’interprétation. J’aime raconter des histoires jouer avec le langage corporel. La scène est un endroit où l’on peut laisser libre court a son imagination, ses émotions pourquoi ne pas l’utiliser pour la danse orientale? C’est une évidence pour moi lorsque j’écoute certaines pièces musicales. Un visage peut transmettre tellement d’expressions. Un mouvement , un geste racontent quelque chose. Je puise dans ces expressions et vécu du quotidien pour enrichir l’expression scénique. Nous avons tous un vécu, utilisons le pour servir ce langage , il en devient que plus vrai, plus sincère, le public le sent tout de suite.
5- Parlons maintenant de votre choix musical : y a-t-il des chansons qui vous interpellent plus que d’autres pour pouvoir rejoindre cet appel spirituel ?
J’affectionne particulièrement les belles mélodies, les textes ayant une poésie, les instruments dits nobles de la musique arabe. Le grand répertoire classique des trois pyramides, Oum Kalthoum, Farid El Atrache, Abdel Halim est indispensable et riche. Comment résister aux compositions de Baligh Hamdi, Mohamed Abdel Wahab, Sayed Mekawi, etc … c’est impossible. Les créations musicales pour la danse orientale bien sûr sont aussi très riches. Dans l’univers contemporain , moderne d’aujourd’hui, je fais attention à la même chose aux sonorités des mots, aux phrasés, à l’émotion d’une voix. J’attend d’une musique qu’elle me fasse voyager.
6- Kaouther Ben Amor, vous maîtrisez plusieurs styles de la danse du ventre. Les sources d’inspiration figurent-elles toujours dans le background historique ou peuvent-elles renaître grâce à l’ardeur de la nouvelle génération ?
Les légendes de la danse orientale resteront toujours des sources d’inspiration pour toutes les générations de danseuses. Elles sont sacralisées par le grand écran , par le cinema égyptien dit l’Hollywood de l’orient. Aujourd’hui, le monde entier danse les danses orientales. Du japon aux Etats Unis en passant par le Brésil et la Russie, c’est une discipline qui compte nombre d’aficionados et de grands artistes. La visibilité n’est juste pas la même. S’il existait aujourd’hui des maisons de production qui mettraient en scène notre nouvelle génération je pense que l’on aurait de merveilleux moments devant les grands écrans et dans les grands théâtres du monde entier. Nous sommes toutes des danseuses qui s’auto-produisent pour monter sur scène, c’est un travail et risque financier assez lourd pour une seule personne.
7- À travers la suggestivité de ses mouvements, la danse du ventre peut susciter maintes réactions souvent liées au contexte sociétal : on va de l’émerveillement, de la ferveur de l’exotisme, de la sexualisation du corps (féminin ou masculin), de la résistance jusqu’au refus parfois… Dans quelle mesure cet art peut-il représenter une réconciliation identitaire ou une réappropriation du corps ?
Cela dépend où l’on danse. Dans un théâtre, le public achète un ticket pour voir de la danse ou la découvrir donc ce n’est pas là que l’on aura des personnes réfractaires à cette danse. Dans un mariage ou évènement privé , on vous engage pour animer une soirée avec un beau spectacle et être proches des gens en dansant auprès d’eux. Ce dont vous me parlez, c’est le syndrome des pays arabes ou orientaux qui adorent cette danse et la condamne en même temps par le biais de la religion devenue plus conservatrice en Egypte ou pays du Maghreb. Certains verront la beauté d’un mouvement, d’autres ne verront qu’un bras nu … l’oeil par lequel ils observent leur donne un regard biaisé qui agresse leur croyance. l’ignorance joue aussi beaucoup… Personnellement, je ne m’intéresse qu’à la version artistique de cette danse, c’est ce qui me fait vibrer, chacun est libre d’y voir ce qu’il veut et chacune est libre de faire de sa danse ce qu’elle en veut. Les études de jazz et contemporain peuvent aussi bien vous mener à danser sur une scène de théâtre comme sur un podium de GoGo danseuse à Ibiza. Chacun fait ce qu’il lui plaît.
8- Aujourd’hui, pouvons-nous parler réellement de la danse du ventre comme étant un art inclusif : l’âge, le genre, la santé, la maternité, l’éducation…?
Je pense que oui. Dans mes cours, sur plus d’une centaine d’élèves, je vois des filles de 18-40 ans, j’ai aussi quelques femmes de la cinquantaine. J’ai toutes les origines, tous les gabarits, tout corps de métiers. Beaucoup me disent qu’elles en apprennent autant sur elles mêmes que sur la culture orientale. Les filles d’origine maghrébines découvrent en general, que c’est une vraie discipline artistique et pas seulement une danse de mariage ou de cabaret. Souvent, à la rentrée , certaines d’entre elles demandent toujours à entrer en classe avancé puis finissent après le premier cours à comprendre pourquoi il faut commencer en débutant. Pour la maternité, j’ai continué mon métier pendant mes deux grossesses et danser à chaque fois jusqu’à la veille de l’accouchement, ce qui en a motivé plus d’une à en faire de même. Cette année j’ai trois élèves en fin de grossesse sur scène. Votre corps vous remercie de le submerger d’aussi belles énergies. Danser c’est vivre, se découvrir et partager.
9- L’appellation « danse orientale » est contestée par certains danseurs engagés comme Alexandre Paulikevitch qui la qualifie par « géographique coloniale ». Selon vous, à quel point pouvons-nous remettre en question cette position ?
Il n’a pas tort dans le sens où ce sont les hommes de Napoléon arrivés en Egypte qui ont donné ce nom de « danse du ventre » un terme devenu enfin totalement obsolète , il était réducteur, ignorant, voir raciste. Bref, complètement à coté de la plaque. Pour ma part j’utilise la traduction littérale du terme arabe « raqs sharqui » danse orientale. Baladi, fait référence à plusieurs choses : un rythme en musique orientale, tout comme une des danses traditionnelles que comptent Les Danses Orientales. Il fait aussi référence au terme utilisé par les habitants autochtones des pays colonisés par la France, l’Empire Britannique ou les Etats Unis. Baladi, « de mon pays » « mon pays » en opposition aux danses venues d’ailleurs à cette époque (classique, latines, jazz etc..) qui ont aussi apporté à la danse orientale. On retrouve beaucoup de mouvements empruntés au classique, flamenco, danse d’Afrique subsaharienne, danse indienne … La danse orientale a aussi bien été influencée et enrichie par tous ces styles comme elle a même influencé des mouvements sur d’autres danses. Quel est l’origine du mouvement et mot Arabesque ? Apprenons toujours et encore !
10- Kaouther Ben Amor, je tiens à vous remercier d’avoir accepté d’échanger avec nous et est-ce que vous pouvez nous glisser quelques mots sur vos futurs projets.
Danser ! La pandémie n’a fait que renforcer l’envie, le besoin vital de danser, je prépare en ce moment le gala de fin d’année Kaouther Ben Amor & Guests à Paris. Les élèves, les artistes , nous sommes tous au rdv !
Interview préparée par Asma Bayar et Hanen Marouani
Pour Trait d’Union Magazine.