La danse orientale touchée par la grâce… de Kaouther Ben Amor
Kaouther est une danseuse d’une élégance rare, dans cet art associé à la grâce et à la joie. Elle est troublante à bien des égards, tout d’abord par son allure altière du haut de ses 1m78, par ses yeux de miel qui vous captivent et enfin par son esprit cultivé.
La posture statuesque et le maintien gracieux, Kaouther Ben Amor est tout simplement majestueuse!
A son talent et sa technique s’ajoute une noble gravité, donnant à ses interprétations une nuance théâtrale proche de la tragédie.
Véritable ambassadrice du romantisme oriental, Kaouther est couronnée de succès !
Rachid Bouchareb ne s’y est pas trompé, il a tôt fait de remarquer sa prestance. C’est ainsi que Kaouther a dansé et créé un ballet oriental pour son film « Hors la loi » avec Djamel Debbouze (sélection officielle Cannes 2010). Quant à Raqia Hassan, célèbre chorégraphe et directrice du prestigieux « Festival International Ahlan Wa Sahlan », elle a repéré et invité Kaouther à se produire et enseigner au Caire.
Générosité et désir de partager sont des valeurs de la danse orientale, valeurs auxquelles Kaouther croit très fort! Derrière son air imposant, se cache une personnalité adorable. Kaouther est une jeune femme sensible et généreuse qui nous a laissé une grande impression…
RP : A quand remonte ta rencontre avec la danse orientale?
La musique arabe et la danse étaient présentes tous les étés avec mes parents en Tunisie lors des grandes « haflas » (« fête » en arabe, ce sont souvent des fêtes populaires célébrées en musique, ndlr). J’ai découvert la danse orientale par le cinéma égyptien et les divas de la danse orientale sur VHS.
Comment as-tu évolué dans le monde de la danse orientale ?
J’ai pris mon premier cours de danse orientale à Londres, lors de mes études universitaires, avec une Egyptienne nommée Asmahan.
De retour à Paris, Mayodi m’a repérée, il m’a formée et lancée sur mes premiers pas professionnels. Auprès de lui, j’ai découvert comment puiser dans mes émotions, les traduire, les interpréter et les libérer dans la danse. Son école est celle de l’écoute musicale et de l’émotion par excellence.
Passionnée, j’ai entrepris d’aller à la rencontre de « maîtres » tels que Yousry Charif, « l’orfèvre chorégraphe », qui m’a fait prendre conscience de la richesse de cette danse, Raqia Hassan « l’incontournable source égyptienne », Dina « le choc émotionnel », ou encore Randa Kamel « le feu et la puissance » qui m’a aidée à prendre avantage de mon gabarit.
Quels sacrifices as-tu eu à faire pour atteindre un tel niveau?
Lorsque la passion vous dévore, vous n’avez pas l’impression de « sacrifier » des choses mais il est vrai qu’elle vous éloigne parfois de vos proches… Le temps et la question de l’opprobre pour cette discipline qu’est la danse orientale, sont parfois difficiles à supporter.
Une danseuse orientale peut-elle aujourd’hui vivre de sa passion?
La crise a touché les budgets du secteur événementiel, des restaurants, des particuliers pour leurs mariages ou autre. Beaucoup d’endroits ont mis la clé sous la porte ou certains annulent le show de la danseuse. Il est plus difficile aujourd’hui en France d’en vivre. Parallèlement, le nombre de danseuses s’est multiplié. Pour pouvoir décrocher des contrats, on assiste alors à des offres de cachets à prix cassés… Cependant, danser pour la scène et danser pour des lieux animés n’est pas le même travail ni le même métier. En attendant de pouvoir se produire sur scène et de toucher ses premiers cachets, d’obtenir un statut d’intermittent ou d’indépendant, et de le conserver, plusieurs d’entre nous ont alors des doubles métiers, ou alors beaucoup de cours à donner. D’autres ont déjà une situation familiale confortable.
Se concentrer sur un travail de création, se démarquer et voyager est un véritable challenge!
Quelle est la source de ton inspiration?
Je m’inspire de tout ce qui me passionne : je suis cinéphile depuis l’adolescence, le cinéma classique hollywoodien et ses actrices glamour incarnaient une féminité magnifiée pour moi. La richesse d’expressions de l’Actor’s Studio me passionne. Ayant travaillé au Louvre durant mes études, j’ai pu découvrir des peintures majeures, des sculptures gréco-romaines impressionnantes qui m’ont bouleversée. J’ai aussi bien assisté aux générales des ballets de l’Opéra de Paris qu’aux fêtes populaires et puis je suis allée dans les cabarets traditionnels d’Egypte. Voir des danseuses de tout acabit et autant de sensibilités à la musique m’a enrichie…
Quelles sont les danseuses légendaires que tu apprécies?
J’aime toutes les danseuses légendaires. Elles sont inscrites dans l’histoire car chacune avait son identité et créé son propre style. J’aime particulièrement Naima Akef car ses tableaux étaient riches et elle était assez bonne comédienne. La plus magique serait pour moi Samia Gamal. J’aime la posture de Nagwa Fouad : des bras et un dos parfait ! Mona Saïd est la plus « rock’n roll » j’adore !
Et toi, comment définirais-tu ton style?
Les mots qui me reviennent le plus souvent à l’oreille sont « élégance », « émotion », « old style avec des touches de modernité ».
De l’univers des danses orientales semble ressortir plusieurs types de danseuses. Les expressives et celles axées sur la performance technique Qu’en penses-tu?
J’admire les grandes techniciennes de la danse orientale. Tout danseur cherche normalement à évoluer et gagner en maîtrise et richesse du mouvement. C’est un vocabulaire avec lequel il s’exprime. Cependant si toute cette technique n’est pas au service d’une générosité émotionnelle, d’une « ouverture d’âme », alors il manquera quelque chose d’essentiel, le don de soi, le partage. La danse orientale s’enrichit aujourd’hui mais son âme est vitale.
Quel professeur es-tu?
J’ai récemment créé ma propre école de danse orientale à Paris où j’essaie de peaufiner mon style. J’éprouve une joie immense lorsqu’à la fin de l’année, je découvre des personnes auparavant fermées ou courbées, évoluer et s’ouvrir aux premières notes de musique, sourire et s’aimer davantage, gagner en paix avec leur corps. Ces moments de partage me sont précieux. Cela démontre à quel point cette danse est riche et généreuse !
Comment travailles-tu tes chorégraphies?
Selon le choix musical, j’essaie de définir quel univers je souhaite poser, à quel personnage je désire donner vie. L’intro et le final sont les parties les plus travaillées en général, cela dépend aussi de l’évènement où je me produis et si je travaille un instrumental ou un vocal. Je trouve rédhibitoire de passer à côté des paroles quand on travaille une chanson. J’avoue ne pas tout chorégraphier car cette danse permet aussi des moments libres où je peux me laisser vivre avec la musique et le public.
Danser et enseigner en Egypte lors du festival « Ahlan wa Sahlan », qu’est-ce que cela signifie pour toi?
Danser en Egypte !… La première fois, mes jambes tremblaient et la deuxième fois, encore plus ! [Elle rit]
En toute sincérité, il n’y a rien de plus magique que de danser en live avec des musiciens, un orchestre dont le métier est d’accompagner la danseuse orientale. Ils vous donnent le sentiment d’être le chef d’orchestre qu’ils suivent avec toute leur attention. Un public connaisseur, vous permet d’essayer de vous dépasser et de partager ensemble une passion commune. Danser sur la terre « Om El Dounia » qui est celle d’artistes comme Oum Kalthoum, Mohamed Abdel Wahab pour ne citer qu’eux, a fait vibrer mon cœur !
Nous te proposons de conclure cette interview : Voudrais-tu ajouter quelque chose?
Oui. Aujourd’hui où les nouvelles générations de « beurs » essaient de se réconcilier avec leur identité orientale et d’en finir avec leurs complexes, la danse orientale est à mon sens une véritable fenêtre sur les beautés de la culture orientale. Elle nous permet de nous exprimer, de véhiculer et découvrir les textes de grands poètes, les compositeurs, les musiciens, les danseuses, les plus belles voix de l’Orient… Quel art extraordinaire !
Par la rédaction de Raqs Passion : Patricia Carneiro